La mise en œuvre de la pédagogie des échanges

Proposé par Patricia Bleydorn-Spielewoy, professeur des écoles, en collaboration avec la Maison de la Pédagogie de Mulhouse : La mise en œuvre de la pédagogie des échanges réciproques de savoirs dans un collège REP, à Mulhouse (68).

 Les débuts 

Tout a commencé avec l’invitation par le CPE, dans le cadre de la Semaine citoyenne, d’un certain nombre d’associations. Les responsables du Rezo! (association mulhousienne d’échanges réciproques de savoirs) ont animé un atelier pour connaître la position des élèves par rapport aux savoirs. Et elles ont été très étonnées de constater que les savoirs spontanément évoqués n’avaient strictement rien à voir avec l’école. L’idée a alors germé de mettre en place un atelier dans le cadre de l’accompagnement éducatif. Ce projet a vu le jour en décembre 2013. La mayonnaise a tout de suite pris avec le dispositif UPE2A qui accueille des élèves allophones arrivants, très friands de savoirs scolaires. Ces élèves-là n’ont qu’une envie, celle d’être élèves comme les autres ; de plus, certains d’entre eux sont, de par leur cursus scolaire dans leur pays d’origine, particulièrement forts en math ou en anglais. Au total, c’est une soixantaine d’élèves qui ont fréquenté l’atelier la première année.

Fonctionnement d’un atelier d’échanges réciproques de savoirs

L’atelier regroupe des élèves de tous niveaux, toutes disciplines confondues, toujours en présence de trois adultes (2 animateurs de l’association d’éducation populaire : le REZO ! et une enseignante). Chaque séance de 55 minutes comprend l’accueil des nouveaux, la formulation des offres et des demandes, le temps des échanges et le temps de retour sur ce qu’on a appris ; ce qui veut dire que le temps de l’échange proprement dit ne dure jamais plus de 30 minutes.

Une question vient tout de suite à l’esprit du néophyte : comment s’assurer de la compétence de l’offreur ?

Le rôle des trois adultes qui encadrent cet atelier est d’accompagner les élèves dans la formulation de leurs offres et de leurs demandes. Comme un enseignant qui cherche à trouver la formulation de la consigne qui permet d’aller dans le sens de ce qui est attendu par une séance d’apprentissage. De la même façon, la formulation précise de l’offre et de la demande permet d’entrer dans la démarche de l’apprentissage souhaité. Ainsi l’élève qui formule une offre va pouvoir décider si l’offre est valable tout de suite, ou s’il a besoin de temps pour s’y préparer ; si l’offre nécessite de s’appuyer sur des documents de référence ou pas ; si l’offre nécessite du matériel spécifique, de même que ce qu’il souhaite que le demandeur sache au bout du temps de l’échange. A la fin de l’échange, pendant le temps de métacognition, la question est posée à l’offreur et au demandeur de ce qu’il/elle a appris pendant cet échange. Il est possible qu’ils soient satisfaits tous les deux, ou pas. L’offreur peut se rendre compte que ce qui lui semblait clair dans sa tête concernant le savoir en jeu, ne l’était finalement pas tant que ça, ou qu’il a envie de l’approfondir lui-même ou que le fait de l’offrir lui a permis d’approfondir ses connaissances sur le sujet…

Donc, si l’offreur n’était pas si compétent au départ, le fait d’entrer dans la démarche d’offrir lui aura permis de mieux appréhender ce qu’implique d’être en position d’offreur. Et le demandeur aura appris ce que signifie jouer sa part dans une situation d’apprentissage : poser des questions, se poser des questions, vérifier dans un document de référence… autant de réflexes incontournables pour être acteur de son parcours d’apprenant.

Et comment s’assure-t-on de l’authenticité des demandes ?

Il y a des élèves qui expriment des demandes qui n’émanent pas forcément d’eux-mêmes, et s’associent à la demande d’un copain, d’une copine. Mais ce n’est pas vraiment un souci, dans la mesure où les élèves qui font cela ne sont pas encore forcément familiarisés avec la démarche des RERS. Aux encadrants de ne pas oublier de nommer un gardien du temps pour qu’il reste suffisamment de temps à la fin de la séance pour la métacognition. C’est là que les élèves s’expriment sur ce que l’échange leur a apporté, en tant qu’offreur ou demandeur. Et, petit à petit, ceux qui avaient des demandes qui n’étaient pas forcément authentiques, comprennent l’enjeu de ces échanges de savoirs.

Et s’il n’y a pas adéquation entre offres et demandes ?

C’est rare qu’il y ait adéquation parfaite entre offres et demandes. C’est pourquoi nous avons ce panneau où demandes et offres du jour sont placées dans le cadre noir avec les échanges possibles Les autres offres et demandes qui n’ont pas encore été traitées sont placées de part et d’autre. C’est la raison pour laquelle nous demandons aussi aux élèves de mettre la date sur leur post-it et de vérifier à chaque séance si leur ancien post-it est encore valable ou pas. Nous choisissons aussi d’annoncer d’abord les demandes du jour, afin de permettre aux élèves de se positionner en tant qu’offreurs sans qu’ils l’aient forcément prévu au départ. Il faut également savoir que la notion de « réciprocité » doit être entendue de façon large et souple : offreurs et demandeurs ne forment pas des binômes dans lesquels chacun doit être successivement l’un et l’autre. C’est d’ailleurs pourquoi on parle de « réseau » ; c’est dans le cadre de celui-ci que la réciprocité prend tout son sens.

Quels sont les effets tangibles de cette pratique sur le rapport au savoir des élèves ?

Les élèves qui ont participé régulièrement à cet atelier ont modifié leur rapport au savoir. Ces élèves ont compris qu’apprendre nécessite de « jouer sa part », de prendre la mesure de ce que signifie être apprenant, quel que soit le type de savoir en jeu : scolaire ou pas. Etre apprenant dans ce sens rejoint ce qu’en dit Jean Pierre Gaté [1]

« Il est de plus en plus courant, aujourd’hui, de désigner par le terme ‘d’apprenant’ tout sujet engagé dans une situation d’apprentissage, que celle-ci vise l’acquisition d’un savoir, d’un savoir-faire ou encore d’un savoir être et ce, quel que soit l’âge de celui qui apprend. L’apprenant est véritablement le sujet de l’apprendre. »

Plus loin ce même auteur précise :

« Apprendre (du latin apprehendere, prendre, saisir) signifie : acquérir une conduite nouvelle ou s’approprier un savoir nouveau. Il désigne essentiellement un processus de changement qui suppose la mobilisation d’actes mentaux et la médiation d’un tiers. »

Dans la pratique de l’atelier d’entraide entre élèves, le tiers a effectivement ce rôle de médiation lorsqu’à la fin de la séance nous prenons ce temps pour parler sur ce qui a été appris, en tant qu’offreur de savoirs et de demandeur de savoirs et permettre aux apprenants de prendre ainsi conscience à la fois des nouveaux savoirs acquis et de certains des actes mentaux en jeu. Ainsi, avons-nous pu constater que les élèves qui ont fréquenté cet atelier prennent davantage leur parcours d’apprenants en main, ce sont eux qui choisissent d’exprimer, à travers la formulation d’offres et de demandes ce qui les questionne. Ils entrent, peu à peu, comme le dit Gaston Pineau [2] dans une forme d’autoformation « processus par lequel un sujet social apprenant développe de plus en plus de pouvoir sur ses propres moyens de formation ». Cela se ressent concrètement en classe, par le type de questions que ces élèves peuvent poser au professeur, pour avoir des précisions sur certains points d’un cours. Le contenu des cours a tendance à faire davantage sens pour ces élèves.

D’une façon générale, comment cette démarche a-t-elle été perçue par l’établissement scolaire ?

Les collègues se sont fortement mobilisés. Deux collègues ont même réalisé un clip publicitaire que tous les professeurs principaux ont montré à leur classe… La direction de l’établissement a fait venir les classes de 6e par demi groupe pendant 3 ou 4 séances. Mais, comme ce n’était pas sur la base du volontariat, les élèves ne sont pas forcément tous restés, même si certains sont revenus après ces séances obligatoires. Plusieurs professeurs se sont initiés à cette pratique en venant aux séances d’entraide entre élèves, certains l’ont adaptée pour leur groupe classe. Le collège a fortement soutenu le projet de l‘inauguration, par les élèves de l’entraide entre élèves, du colloque « la force de la réciprocité et de la coopération pour apprendre » qui s’est tenu à Evry les 4 et 5 juin 2016. Les élèves y ont fait une prestation magnifique : une chanson co-écrite tous ensemble, sur la mélodie de « on écrit sur les murs ». Ce fut un magnifique projet de coopération Education nationale/éducation populaire. Rappelons que les Réseaux d’échanges réciproques de savoirs (RERS) ont été créés par Claire et Marc Héber-Suffrin dans les années 1970. Plusieurs ouvrages présentant la démarche et les outils ont été publiés chez Chronique sociale. Dernière parution : Claire Héber-Suffrin « Apprendre la réciprocité »,  140 pages. Chronique Sociale. Juin 2016. Ce projet a été présenté au 9ème forum des enseignants innovants à Paris.

[1] Jean-Pierre Gaté, « A la rencontre des pratiques d’apprentissage », Éduquer [En ligne], 8 | 2004, mis en ligne le 15 octobre 2008, consulté le 22 janvier 2017. URL : http://rechercheseducations.revues.org/347 [2] PINEAU, Gaston (2009), ABC de la VAE, éditions Erès, p.84 Article rédigé par Patricia Bleydorn-Spielewoy, professeur des écoles, en collaboration avec la Maison de la Pédagogie de Mulhouse http://maisondelapedagogie.fr/ Dernière modification le mardi, 24 janvier 2017